L’Essuyage sur les Khuffs en cuir synthétique – Malékite

L’Essuyage sur les Khuffs en cuir synthétique dans l’école Malékite

Par Ustadh Abdus Shakur Brooks

 

khuffs

 

 

Il est communément admis dans l’école Malékite, que les khuffs (khofayne) doivent remplir dix conditions pour qu’il soit permis (rukhsah) de pratiquer dessus l’essuyage, sans quoi, il est obligatoire de revenir au lavage des pieds. Deux de ces conditions sont :

1. Que les Khuffs soient pures ; c.-à-d. pas faite à partir de quelque chose d’impur ou de souillé par une impureté.

2. Que les Khuffs soient fabriquées à partir de peau animale (cuir véritable)

Le sens de « sans quoi il est obligatoire de revenir au lavage des pieds » est basé sur ce principe de Fiqh bien connu : « lorsqu’une personne ne peut remplir toutes les conditions lui permettant une dispense, alors elle doit revenir à la règle initiale ». En d’autres termes, dans ce cas, lorsqu’une personne ne peut remplir toutes les conditions lui permettant l’essuyage sur les Khuffs, elle doit alors revenir au lavage les pieds.

Ainsi, l’idée selon laquelle il est permis d’essuyer sur du cuir synthétique (pas du cuir) ou impur est incorrecte selon l’école Malékite, et c’est le sujet de notre discussion.

 

Voici certains des textes qui stipulent explicitement que les khuffs doivent être fabriquées à partir de peau d’animal pure :

Dans al-Dhakirah, sa célèbre encyclopédie de fiqh Maliki en dix volumes, Al-Qarafi (d.684) dit ceci :

« Quant aux conditions [permettant l’essuyage sur les khuffs], elles sont au nombre de dix : qu’elles soient fabriquées à partir de la peau d’un animal pur …».

Al-Qarafi dit ensuite :

« La clause de la première condition (qu’elles soient fabriquées à partir de peau d’animal), est une règle pour les khuffs fabriquées à base de tissu et c’est ainsi, car celles qui ne qui ne sont pas en peau d’animal, ne sont pas considérées comme des Khuffs selon les Arabes [c.-à-d. selon leur langue] ».

Puis il continue en disant :

« La deuxième condition (la pureté) est une règle pour les khuffs fabriquées à base de peaux d’animaux morts, car prier avec des impuretés n’est pas permis … »

Sheykh Muhammad al-Kurashi (1101 AH, Le Caire), qui était l’Imam de l’Université de Al-Azhar alors qu’il s’agissait déjà d’un haut lieu du savoir, a mentionné dans son célèbre commentaire du Mukhtasar de Khalil :

« Les conditions de la Khuff qui peut être essuyée sont de cinq [incluant] qu’elle soit faite de peau d’animal et non de ce qui est fait pour lui ressembler ; comme le coton et d’autres matières »

Sheykh Ibn Muhammad al-Maliki (1144 AH, Fès) a mentionné dans al-Durr al-Thamin, son commentaire majeur d’Ibn Ashir :

« Et les conditions de ce qui peut être essuyé [c.-à-d. les khuffs] sont les suivantes : que les Khuffs soient [faites] d’une peau d’animal et qu’elles soient pures … »

Sheykh Ibn Juzai (741 AH) a mentionné dans al-Qawānīn al-fiqhiyyah :

« Dans les quatre écoles, pour le voyageur ou le résident, la Khuff sur laquelle il est permis d’essuyer est soumise à six conditions. [Parmi ces conditions] la Khuff doit être faite de peau animale, excluant la jawab [ici, il désigne la chaussette qui n’a pas de cuir] »

Sheykh Ahmad Dardir (1201 AH, Le Caire) qui a écrit al-Sharh al-Kabīr, célèbre commentaire du Mukhtasar de Khalil dit dans son livre :

« Il est permis, comme substitut, pour un résident ou un voyageur, […] d’essuyer sur les Khuffs […] pour n’importe quelle durée de temps, sous condition qu’elles soient [faites] d’une peau d’animal qui est pur »

Sheykh Ahmad Zurruq (899 AH) un savant de renommé dans le fiqh, qui était connu pour son niveau de piété, a dit dans son commentaire de la Risālah d’Ibn Abi Zaid :

« il est permis d’essuyer sur les khuffs, à la condition qu’elles soient fabriquées d’une peau d’un animal qui est pur »

Sheykh Abou al-Azhari qui a écrit de nombreux commentaires résumés des principaux textes de fiqh a dit dans al-Thamar al-Dāni, son commentaire de la Risālah :

« Les conditions [de ce sur quoi on peut essuyer] sont :  qu’elles soient faites de peau de bête, et non pas de ce qui est fait pour ressembler à une Khuff, comme [par exemple] ce qui est fabriqué à partir de coton. Et qu’elles soient pures, et pas impures comme  la peau d’animal mort, même si elle est tannée ».

Sheykh al-Sharnūbi al-Azhari mentionne dans Taqrīb al-Ma’āni, son commentaire de la Risalah :

« La condition de (l’essuyage sur) la Khuff est : 1/ qu’elles soient faites de peau d’animal ou qu’elles aient de la peau d’animal [en référence au jawrab], et non pas fabriquées dans une matière qui est faite pour ressembler à une Khuff ; comme le coton. 2/ qu’elles soient pures. »

Sheykh Abou Hassan (939 AH, Le Caire) a dit dans Kifāyah al-Tālib al-Rabbāni, son célèbre commentaire de la Risālah :

« Concernant la permission d’essuyer (sur les khuffs) il existe cinq conditions : qu’elles soient faites de peau d’animal qui est pur …».

Sheykh Abou Hassan a également écrit dans al-Aziya son texte sur le fiqh Maliki :

« En ce qui concerne l’essuyage sur les khuffs, il existe huit conditions : La première condition est qu’elles soient fabriquées à partir de peau d’animal, ainsi, il n’est pas autorisé d’essuyer sur autre chose que cela [la peau d’animal], par exemple sur une matière souple ou quelque chose qui ne soit pas en cuir, mais qui soit fait pour ressembler à une Khuff, exception faite de « al-jawrab » qui ressemble à une Khuff, qui est faite à partir de coton ou d’autres matières et qui a du cuir sur le haut et sur le bas. La deuxième condition est qu’elles soient pures, il n’est donc pas autorisé d’essuyer sur les impuretés telles que la peau de porc ou la peau d’un animal licite à la consommation, mais qui n’a pas été abattus, ou sur la peau d’un animal qui a été abattu, mais qu’il n’est pas permis de manger, même tannée (c.-à-d. même si toutes les peaux mentionnées étaient tannées). »

Sont mentionnées ci-dessus onze sources, auxquelles se rajoutent une 12ème tirée du Mukhtasar de Sheykh Khalil. Tous ces ouvrages mentionnés sont bien connus et étudiés.

L’hypothèse selon laquelle il y a une divergence d’opinions entre les savants Malékites concernant le fait que les Khuffs doivent ou non être en peau d’animal qui est pur, est erronée.

Sheykh Khalil mentionne également dans son Mukhtasar deux conditions pour l’essuyage sur les khuffs.

En raison de la perturbante complexité du texte du Mukhtasar, je vais citer le passage et souligner la partie pertinente qui nous intéresse dans cette discussion :

« Une dispense est accordée pour les hommes et les femmes (même en istihādah), que ses personnes soient résidentes ou en voyage, leur permettant d’essuyer sur une chaussette (jawab) qui contient de la peau sur le haut et le bas ou sur une Khuff ….à la condition que ce soit fabriqué à partir de la peau d’un animal qui est pur. »

Sheykh Khalil déclare ici explicitement que la condition permettant de suivre la dispensation d’essuyer sur les khuffs est qu’elles soient fabriquées à partir de la peau d’un animal pur, ce qui exclut tous les animaux non abattus.

 

Concernant la raison pour laquelle certains savants n’ont pas mentionné la condition qu’une Khuff doit être faite de peau d’animal ou qu’elles doivent être pures :

Avant de citer et de discuter des dires des commentateurs du Mukhtasar concernant le passage précédent du Khalil, il faut être conscient de certains points importants qui faciliteront la compréhension de ce qui suit.

Dans de nombreux livres de fiqh Malékite, dans le chapitre de l’essuyage sur les Khuffs, certains savants mentionnent pour les khuffs les deux conditions (pures et fabriquées à partir de peau d’animal), tandis que d’autres savants n’en font aucune mention. C’est à partir de cela que certains ont fait l’erreur de supposer qu’il y a une divergence d’opinions à ce sujet, comme nous l’aborderons plus tard.

La question qui demeure est de savoir pourquoi certains savants les mentionnent dans le chapitre de l’essuyage sur les khuffs, alors que d’autres savants ne le font pas? :

En ce qui concerne les peaux d’animaux, il faut comprendre que selon la langue des Arabes (cf. al-Qarafi), la Khuff est « une chaussure fabriquée à partir de peau animale ». Par conséquent, une Khuff est par défaut faite uniquement à partir de la peau d’un animal. Pour cette raison, certains savants n‘ont pas jugé nécessaire de mentionner comme condition la peau d’animal dans le chapitre de l’essuyage sur les khuffs. D’un autre côté, certains savants l’ont mentionné en raison de la crainte que cet élément soit négligé, c’est la raison pour laquelle ils ont voulu le souligner ; et non pas parce que c’est une condition dans la réalité.

Quant au fait que la Khuff doive être pure, si certains savants ont aussi jugé inutile de le mentionner comme étant une condition, c’est parce que la « pureté » concerne TOUS les articles de l’habillement, et que ce sujet est abordé dans le chapitre intitulé « Élimination des impuretés »

Pour résumer ce point, la règle générale se rapportant à l’élimination des impuretés pour la prière concerne TOUS les articles de l’habillement. Il n’y a donc pas lieu d’en faire une condition de pureté particulière à la Khuff alors qu’elle rentre dans le cadre général de cette règle qui concerne tous les articles de l’habillement.

À la lumière de ce dont nous venons de parler, allons maintenant jeter un œil sur ce qu’ont dit de nombreux savants à propos de la déclaration de Sheykh Khalil, qui dit « À la condition que ce soit fabriqué à partir de la peau d’un animal qui est pur. »

Al-Dusūki (1230 AH, Le Caire) cite Sheykh al-Banani (1194 AH) qui, commentant sur ce point essentiel, dit :

« Ces deux conditions ne sont pas requises [c.-à-d. la peau d’animal et la pureté].

Pour la première condition, c’est parce qu’une Khuff est uniquement faite de cuir … Quant au second point, Sheykh Moustapha at-Tatai [942 AH] s’opposa à ce que de telles conditions soient stipulées, car ces questions sont traitées dans le chapitre qui concerne l’élimination des impuretés et rien ne devrait être mentionné ici, sauf ce qui est spécifiquement lié à ce sujet [c.-à-d. des questions spécifiques au sujet de l’essuyage sur les Khuffs]. »

Conformément à la déclaration d’at-Tatā’i, Sheykh ‘Ulaish (299 AH) qui a écrit le célèbre ouvrage sur la fatwa appelé Fath al-A’li al-Malik cita Sheykh al-Ramāsi (1136 AH) dans ses notes de marges de Al-Sharh al-Kabir :

« Ni Ibn Shash, ni Ibn Hājib, ni Ibn Arafah, ni l’auteur de la Mudawwanah (Sahnûn Ibn Sa’îd At Tanûkhî) n’ont mentionné comme condition que la Khuff doive être pure pour être essuyée [dans le chapitre relatif aux khuffs], et c’est parce cela est lié à la règle de la suppression des impuretés, et Allâh est le plus élevé et le plus savant ».

Aucun des auteurs mentionnés, dont les œuvres sont toutes majeures, n’a dans le chapitre sur  l’essuyage sur khufs, mentionné comme condition que la Khuff soit pure, et ce, pour la même raison énoncée par at-Tatāi, c.-à-d. que ces questions sont traitées dans le chapitre de l’élimination des impuretés qui concerne TOUS les articles de l’habillement, y compris les chaussures.

Sheykh ‘Ulaish a dit :

« Je dis : Le silence [des savants Malikite] concernant le critère de pureté [comme condition, dans le cas de la Khuff en cuir] ne veut pas forcément dire que ce n’est pas une condition et s’ils sont restés silencieux à ce sujet, c’est probablement en raison de sa clarté … » […]

Sheykh Ali al-Adawi (1112 AH) qui fut le Sheykh de Sheykh Dardir (1201 AH) cite al-Tatāi dans ses notes de marges du commentaire du Mukhtasar d’al-Khurashi :

« Selon ce qui a été transmis, il n’est pas nécessaire que nous considérions cela [c.-à-d. la nécessité de la pureté de la Khuff] comme une condition, parce que les conditions n’ont pas à être stipulées, sauf dans le cas de spécificités propres à ces choses …la purification est une condition pour TOUS les vêtements »

On peut citer comme exemple de « condition spécifique » qui n’est pas générale et doit donc être mentionnée, le fait que la Khuff doive monter jusqu’à la cheville. Nous disons que cette question est « spécifique » et pas « générale » car qu’elle ne se rapporte qu’aux khuffs et pas à tous les autres articles de l’habillement ; et il est par conséquent nécessaire que cela soit stipulé comme condition.

Al-Amir (1232 AH), l’auteur de al-Majmoo’a et Doa al-Shamu’a, qui était un compagnon de Sheykh Dardir et qui a enseigné à de grands savants comme Sheykh Ulaish, dit dans son commentaire :

« Ici, nous voyons encore une fois que les savants ont clairement dit qu’il est inutile de stipuler de telles conditions, dans le chapitre de l’essuyage sur les khuffs, car cela doit être mentionné à sa bonne place, c’est-à-dire dans le chapitre de l’élimination des impuretés où le sujet est traité de manière générale. »

Tout ce qui est mentionné ici montre que les savants de l’école Malikite sont accord sur le fait que l’on ne peut pas essuyer sur les khuffs qui ne sont pas en cuir (mais plutôt en cuir synthétique),  et qu’en réalité une Khuff n’est appelée «Khuff » que si elle est faite de cuir animal véritable. La divergence d’opinions se situe plutôt entre savoir si ou non il y a un sens à mentionner explicitement la pureté et la peau animale comme condition.

Par ailleurs, le fait que certains savants ne mentionnent pas que les Khuffs doivent être fabriquées à partir de peau d’animal pur n’est pas une raison valable permettant de prétendre qu’il y a une divergence d’opinions, à moins que les savants l’affirment clairement dans des sources fiables.

La meilleure orientation est la direction de ceux dont l’avis compte et  l’égarement suit ceux dont les opinions ne comptent pas. Ceux qui n’ont pas pris part à l’ijtihad (l’effort de réflexion juridique) sont tenus de transmettre les opinions qui représentent les madhaab et de s’abstenir d’avancer, sans avoir les qualifications requises, leurs propres opinions indépendantes sur des questions qui ont été déjà traitées bien avant eux par les savants compétents de l’école.

Le problème de l’essuyage sur les khuffs réalisé sans que les conditions soient remplies, c’est que la personne qui priera ainsi aura une ablution invalide, ce qui signifie que sa prière ne sera pas non plus valide.

Dans l’école (madhaab) Malikite, l’essuyage des khuffs est une rukhsah (dispense). Le principe bien connu qui s’applique aux dispenses est que quand une personne ne peut pas remplir ses conditions, alors il devient obligatoire qu’elle revienne à la règle initiale, qui est dans ce cas précis l’obligation de laver les pieds, alors veuillez retenir ce point attentivement !

Wa Allâhou a’alam

 

Notes :

Sheykh Asrar Rashid a déclaré : « Procéder à l’essuyage sur les chaussettes de coton modernes lors des ablutions (wudhu) est interdit dans les quatre écoles Sunnites (Hanafite, Malikite, Shafi’ite et Hanbalite). Le Hadith mentionne des ‘Jawrab’. Les Jawrabs portées par le Prophète صلى الله عليه وعلى آله وصحبه وسلم était totalement différentes des chaussettes modernes. Les chaussettes modernes ne remplissent pas les conditions d’essuyage (mash). Ceux qui essuient sur les chaussettes modernes n’auront pas un wudhu (valide). »

La question suivante a été  posée à Sheykh Malik (Aslama) :

« Dans l’école Malikite, parmi les conditions de validité d’une khuff (dans l’avis le plus connu), il faut qu’elle soit en cuir (peau animale pure) et non en quelque chose qui lui ressemble (simili cuir – sky). Il existe aujourd’hui des chaussettes 100% étanches, qui rassemblent l’ensemble des conditions de la khuff à l’exception de la matière puisqu’elles sont faites en matières synthétiques innovantes et étanche. Les Hanafites comme Sheykh Faraz Rabbani considèrent qu’elles remplissent les conditions. Dans le madhhab Maliki, peut-on de ce fait faire aussi l’analogie avec les khuff classiques et considérer ces chaussettes comme valide pour pratiquer l’essuyage? » Un exemple ici

Voici la réponse qu’il a apporté :

« Les avis divergent dans l’école Malikite sur cette question, mais nous retenons sur Aslama l’avis que le cuir (peau animale pure) n’est pas une condition. En ce qui concerne les chaussettes 100% étanches avec les conditions qu’elles soient imperméables et qu’on puisse marcher avec au moins 1 km et qu’en les mettant elles tiennent et ne tombent pas (une certaine rigidité), si ces conditions sont remplies, elles sont alors autorisées. »