Falsifications et manipulations des avis d’Ibn Taymiyya et d’Ibn Kathir concernant le Mawlid

 

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Voici une démonstration de la manière dont certains falsifient ou manipulent les avis de grands savants afin de faire croire aux Musulmans que ces sommités en Sciences Islamiques partagent les mêmes avis marginaux qu’eux-mêmes.

Dans le cas présent, nous allons voir que sheykh al-‘Utheymin rahimahullaah.gif omet de diffuser l’ensemble des avis d’ibnou Taymiyya concernant le Mawlid et également comment l’Imam Ibnou Kathir est utilisé à tort par sheykh Al-Fawzan pour soutenir l’avis de l’interdiction du Mawlid an-Nabawi. 

 

Quand on cherche sur le web des avis concernant Al-Mawlid, on a de grandes chances de tomber sur un des nombreux sites wahhabis dont le net francophone pullule. Parmi ceux-là vous trouverez une fatwa de sheykh al-‘Utheymin tirée de al-dhiyâ’ ul-Lami’ou minal-Khotbi al-djawâmi’ (page 36).

Dans ce texte visant à démontrer l’invalidité du Mawlid, le sheykh nous cite l’avis d’Ibnou Taymiyya (RA) sur cette question.

 

Voici ce qui est cité de lui dans cette fatawa :

« Le Sheikh al-Islâm Ibn Taymiyya (qu’Allah lui fasse miséricorde) a dit dans son ouvrage intitulé :  » Iqtidâ As-Sirâte Al Mustaqîm : Mukhâlafatu Ashâb Al Jahîm » :

« L’institution, par certains, d’une fête commémorant la naissance du Prophète malgré les divergences existant quant à sa date exacte -et qui vise, soit à ressembler aux chrétiens dans leur commémoration de la naissance de ’Îssa (‘alayhi salam), soit à exprimer leur amour et leur vénération pour le Prophète SAW – n’était pas pratiquée par les anciens bien qu’ils aient eu raisons de le faire et que rien ne les en empêchait.

Et si une telle démarche comportait un bien, qu’il soit absolu ou même prépondérant, ces derniers seraient plus en droit de l’appliquer que nous. L’amour et la vénération qu’ils avaient à l’égard du Prophète SAW étaient en effet bien plus intense que les nôtres et ils étaient on ne peut plus soucieux que nous de pratiquer le bien. Leur amour et leur vénération s’exprimaient donc uniquement dans leur mise en conformité avec la voie du Prophète, l’obéissance qu’ils lui vouaient, l’application de ses commandements, la revivification tant dans la forme que dans le fond- de sa Sunna, la propagation [du message] avec lequel il fut dépêché et enfin dans tous les efforts qu’ils déployèrent dans leur coeur, par leur langue ou par les actes- dans cette voie. Or, force est de constater que la plupart de ces personnes soucieuses de pratiquer de telles innovations sont dans une totale léthargie lorsqu’il s’agit d’œuvrer là où l’ordre du Prophète SAW leur est parvenu. On ne peut que les comparer à ceux qui ornent et embellissent le Coran sans le lire ou encore à ceux qui le lisent sans l’appliquer. »

Voici le scan de cette fatwa de sheykh al-‘Utheymin :

 

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Cependant, il existe un autre avis d’Ibnou Taymiyya rapporté dans son encyclopédie de Fatawa (Majma’ Fatawi Ibn Taymiyya) Vol. 23, p. 163 dans lequel il déclare : « fa-t’adheem al-Mawlid wat-tikhaadhuhu mawsiman qad yaf’alahu ba’ad an-naasi wa yakunu lahu feehi ajra `adheem lihusni qasdihi t’adheemihi li-Rasulillahi, salla-Allahu `alayhi wa sallam » .

C’est-à-dire :

« Célébrer et honorer la naissance du Prophète (salallâhou ‘alayhi wassalaam) et en faire un moment exceptionnel, comme le font certains, est une bonne chose en laquelle réside une grande récompense, à cause de la bonne intention d’honorer le Prophète ».

L’avis du Sheykh Ibn Taymiyya semble donc bien plus nuancé que ce qui est rapporté dans la Fatwa de Sheykh ‘Utheymin.

Voici le scan des propos tenus par sheykh Ibn Taymiyya :

 

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Voyons maintenant le cas d’Ibnou Kathir, le grand exégète, l’un des élèves les plus connus d’Ibnou Taymiyya :

Dans une de ces fatwas attaquant le Mawlid, sheykh al-Fawzan utilise une citation tirée d’un livre d’Ibnou Kathir.

Sheykh Fawzan commence en disant :

« Ces différentes manières de célébrer l’événement ont en commun leur caractère d’innovation prohibée inventée par les fatimides après les trois meilleurs siècles (de l’Islam) … »

Il cite ensuite plusieurs paroles de savants dont celle d’Al-Hafidh ibnou Kathir disant à propos de la biographie d’Abou Said Kazkabouri : « Il organisait une grande cérémonie au mois de Rabi I à l’occasion de l’anniversaire de la naissance du Prophète. Al-Bast a dit : un des participants à l’une des cérémonies organisées par al-Moudhaffar m’a raconté que ce dernier faisait étaler sur une nappe 5 000 (moutons), méchoui, 10 000 poulets, 100 000 coupes à crèmes, 30 plats de gâteaux […]. Il organisait un concert (religieux) pour les soufis et dansait avec eux du début de l’après-midi jusqu’à l’aube ». [al-bidaya wa an-nihaya (13/137)]

Puis sheykh Al-Fawzan conclue en déclarant :

« Voilà la genèse de la célébration de l’anniversaire de la naissance (du Prophète). Elle date d’une époque récente et fut accompagnée de manifestations de divertissement, d’excès, de gaspillage des biens et du temps, le tout fondé sur une innovation qu’aucun argument tiré de la révélation d’Allah ne permet de soutenir. Il convient au musulman de s’employer à faire vivre les pratiques enseignées par la Sunna et à faire disparaître les innovations et de n’engager aucune action avant de connaître le jugement d’Allah à son propos ».

En citant ici cette parole issue d’un ouvrage d’Ibnou Kathir, Sheykh Al-Fawzan décrit le Mawlid comme une gigantesque fête blâmable, constituée de gaspillages, de chants et de danses.

Lorsque des actes non conformes avec la Shari’ah sont constatés lors d’un événement, il est normalement plus logique de condamner ces actes plutôt que d’interdire l’événement. Il suffit de regarder comment se déroulent aujourd’hui certains mariages Musulmans, dans lesquels on trouve de la musique de discothèque, de la mixité, des danseuses du ventre, de l’alcool, etc. Pour autant, il serait absurde d’interdire aux gens de se marier à cause des excès commis par certains. Le travail du savant consiste plutôt à expliquer les erreurs commises et les actes à proscrire lors d’un tel événement.

De plus, les chiffres évoqués plus haut ne peuvent lui permettre de parler de gaspillage, sans savoir le nombre de personnes présentes.

La quantité est fonction des personnes présentes. Par conséquent, si la quantité dépasse de beaucoup le besoin de restaurer tout le monde, on peut parler de gaspillage, mais sans avoir de détails précis, cela reste de la pure spéculation de la part de sheykh Al-Fawzan. Le principe en Islam est d’accorder la bonne opinion à autrui et penser le bien implique ici qu’on imagine que ce qui est cité plus haut était en prévu en fonction des besoins nécessaires permettant insha Allâh de restaurer tout le monde. Il faut également rappeler que nourrir les gens, y compris les pauvres qui n’ont pas beaucoup l’occasion de manger de la viande, est quelque chose de louable. En effet, notre religion incite à « It’âme al ta’âme« , c’est-à-dire faire preuve de générosité en nourrissant quelqu’un, en partageant son repas, en offrant le couvert à des amis ou à des pauvres, etc.

Selon ‘Abd-Allâh ibn ‘Amr : Un homme ayant demandé au Messager d’Allâh (salallâhou ‘alayhi wassalaam) quel était le meilleur Islam ? Celui-ci répondit : « Donne à manger et salue ceux que tu connais et ceux que tu ne connais pas ». [Hadith rapporté par Mouslim].

Idem concernant les « chants Soufis », que peut-il donc reprocher alors qu’il ignore de quels chants il est question ainsi que le détail des paroles. Peut-il dire si elles comportaient ou pas quelque chose de blâmable alors que tout cela n’est pas évoqué dans la citation d’Ibn Kathir? Là encore lorsque l’on regarde attentivement les critiques d’Al-Fawzan, on se rend compte que ce ne sont que des conjectures or l’Islam a interdit les conjectures.

Allâh n’a-t-Il pas dit : « Ô vous qui avez cru ! Évitez de trop conjecturer (sur autrui) car une partie des conjectures est péché. » [Coran – Sourate 49, verset 12]

De même, Abû Hurayra (RA) a rapporté que l’envoyé d’Allâh  a dit : « Évitez de conjecturer sur autrui, car la conjecture est la plus mensongère des paroles. […] ». [Hadith rapporté par l’Imam Boukhari]

On peut également noter qu’Al-Fawzan oublie de mentionner le fait que non seulement l’Imam Ibnou Kathir ne condamne pas le Mawlid, mais qu’en plus il y est favorable. Il a d’ailleurs écrit tout un ouvrage dans lequel il démontre que c’est un acte de bien.

Celui qui a atteint le rang d’Amir al-Mu’minin dans le hadith, Ibn Hajar al-‘Asqalani rahimahullaah.gif rapporte que l’Imam Ibn Kathir le célèbre Mufassir rédigea un livre sur le Mawlid qu’il nomma : Dhikra Mawlid Rassul Allâh lors du dernier jour de sa vie. Le hafidh Ibn Hajar dit : « Il le traita en long et en large ». Ceci se trouve dans son livre Durar al Kamina fi al-Mi’at al-Thamina.

Voici le scan du livre écrit par l’Imam Ibnou Kathir :

 

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Au passage, il s’agit là également d’une preuve que ces deux grands Imams (ibn Taymiyya et Ibn Kathir) ne classaient pas comme « mauvaises » toutes les innovations (bida’a) dans la religion, ce qui est la position majoritaire des savants sur cette question.

 

Tout ceci démontre à quel point il faut être vigilant, car il arrive malheureusement que des gens se trompent ou ou manipulent quelque peu les textes dans le but de faire pencher l’opinion du lecteur dans un sens ou dans l’autre.

Qu’Allâh nous pardonne et nous préserve de l’erreur et de l’égarement.

 

Notes :

Article réalisé en collaboration avec Aslama.com

A lire sur le sujet : L’avis des savants Sunnites sur la commémoration de la naissance du Prophète Muhammad [Al-Mawlid]