Est-il permis de piocher et mélanger entre les quatre Ecoles ?
Par Sunnisme.com [1]
« Demandez aux gens de savoir si vous ne savez pas » [2]
Comme Allâh le mentionne dans le Qour’an, notre but est d’adorer Allâh : « Je n’ai créé les Djinns et les hommes que pour qu’ils M’adorent » [3]. Il nous a créés et nous a ordonné de faire certaines actions et de s’abstenir de certaines autres. Afin de lui obéir, nous avons besoin de savoir ce qu’Il exige et attend de nous. D’où l’importance de la Connaissance Sacrée.
En termes de Fiqh (connaissance de la Jurisprudence de la Loi Sacrée), les Musulmans se divisent en deux catégories. Ils sont soit Mujtahids [4], soit Muqallids (ce qui signifie qu’ils ne possèdent pas les qualifications suffisantes et doivent donc recourir à un mujtahid pour savoir quelle est la bonne règle à suivre). Aucun Musulman ne contestera le fait que nous devons tous suivre le Qour’an et la Sunnah, la question est plutôt : est-on suffisamment qualifié pour tirer les décisions Juridiques par nous-mêmes, ou devons-nous nous tourner vers ceux qui sont qualifiés et autorisés à le faire? Il est évident que l’immense majorité des Musulmans se trouve dans la seconde catégorie.
La notion d’autorité n’est pas difficile à comprendre. Aucune société ne permettrait à quelqu’un de pratiquer une opération chirurgicale sans avoir d’abord fait des études de médecine et avoir obtenu les diplômes nécessaires à sa pratique. Aucune société ne permettrait non plus à quiconque de construire un pont sans avoir d’abord obtenu un diplôme en génie civil. Dans le cas contraire, on peut aisément imaginer les désastres que cela entrainerait.
Il est illicite (haram) pour un muqallid de tenter l’ijtihad [5] et c’est un péché, même s’il finit par arriver à la bonne conclusion.
Le Prophète (salallâhou ‘alayhi wasslaam) a dit : « Celui qui interprète le Qour’an selon son avis personnel, il commet une erreur même si ce qu’il a dit est correct ». [6]
Le Prophète a également dit : « Les juges sont de trois types : deux d’entre eux iront en enfer, et un au paradis. Un homme qui connaît la vérité et qui juge en fonction d’elle, il ira au paradis. Un homme qui juge entre les gens alors qu’il est ignorant, il ira en enfer. Et un homme qui connaît la vérité, mais qui juge injustement, il ira en enfer ». [7]
L’Imam al-Sindi رحمه الله dit dans son commentaire des Sunan d’Ibn Majah : « La généralité des termes « Un homme qui juge entre les gens alors qu’il est ignorant’ inclut le cas où cet homme juge correctement. Une telle personne mérite le feu pour avoir eu l’audace de faire cela sans connaissance ».
Les lois d’Allâh ne sont pas quelque chose avec lesquelles nous pouvons jouer et seuls ceux qui sont qualifiés pour effectuer l’ijtihad (l’effort de réflexion et d’interprétation) ont la permission de fouiller dans les preuves primaires afin d’en déduire si quelque chose est halal ou haram. La personne non qualifiée doit demander à celle qui l’est. Un mujtahid est au muqallid ce que le Qour’an et la Sunna sont au mujtahid.
Pour connaitre la règle Juridique à suivre sur une question particulière, nous devons recourir aux livres de Fiqh des quatre écoles, et non pas aux livres de Hadiths comme les Sahih d’al-Bukhari ou de Muslim (sans parler des soi-disant mujtahids de notre époque). Passer par quelqu’un qui comprend ce qu’ils disent est la seule façon correcte de vraiment suivre le Qour’an et la Sunnah.
Les quatre écoles de droit Sunnites sont toutes aussi valides les unes que les autre. Le choix est une question de préférence personnelle et de circonstances :
Il faut prendre en compte l’ensemble des points suivants :
1) Quels madhhab vous pouvez correctement apprendre, compte tenu de vos circonstances de vie (lieux, facilité d’accès, emploi du temps, etc.).
2) De quel madhhab vous pouvez le plus aisément obtenir les réponses à vos questions (facilité d’accès à un sheykh ou aux personnes affiliées à l’école).
3) Quelles sont vos inclinations personnelles et considérations de vie en général (comme les antécédents familiaux (famille adhérent à une école), communautaires, etc).
Le consensus autour de l’obligation pour le non mujtahid de recourir au suivi d’une école (taqlid) est rapporté par de nombreux grands Imams tels que Ibn ul-Qayyim dans A’lam al-muwaqi’in ‘an rabb al-‘alamin ou Shah Waliullâh al-Muhaddith Dehlwi dans un de ses ouvrages.
En suivant une école, le muqallid se décharge de sa responsabilité devant Allâh. Peu importe tous les Hadiths avec lesquels les Salafis et autre réformateurs pourraient tenter de l’en dissuader, il lui suffit de répondre par la Parole d’Allâh : « Demandez aux gens de Savoir si vous ne savez pas » [8]. Ceux qui s’obstinent à mettre de côté les écoles (madhhab) et préfèrent suivre leur propre jugement prennent le risque direct de tomber sous le coup de la malédiction Prophétique : « Ils l’ont tué, qu’Allâh les tue ! Pourquoi n’ont-ils pas demandé s’ils ne savaient pas ? » [9].
Voilà le risque que l’on prend lorsque l’on mélange entre les écoles, car en agissant de la sorte, on arrive souvent au final à des positions erronées et invalides. Chacune des 4 écoles à ses propres fondements (Usul) qui permettent de tirer des règles juridiques à partir entre autres du Qour’an et de la Sounnah de Rassoul Allâh, il est donc incohérent et risqué de vouloir piocher et mixer entre les avis de ces écoles.
En mélangeant (talfiq) les différents avis, on risque de se retrouver avec une pratique qui ne soit valable selon aucune des 4 écoles.
Il existe plusieurs types de mélange, on peut citer entre autres :
A/ Le type de talfiq qui consiste à mélanger des actes qui n’ont pas de liens directs entre eux, par exemple le jeûne selon l’école Hanafite et la prière selon l’école Malikite. Ce type de Taqlid est permis selon la majorité des savants, bien qu’il soit plus correct et cohérent de suivre son école de bout en bout.
B/ Le type de talfiq, consistant à mélanger plusieurs écoles dans le même acte, mais de manière à ce que l’action finale soit acceptable dans au moins une école. Par exemple, placer ses mains sur la poitrine dans la prière comme un Hanafite tout en effectuant le reste de la prière selon l’école Malikite. Les savants divergent néanmoins quant à la permissivité de ce talfiq.
C/ Le type de talfiq consistant pour un seul et même acte à mélanger entre deux écoles de manière à ce que l’acte final ne soit valide selon aucune école. Par exemple, faire ses ablutions selon l’école Shafé’ite en n’essuyant qu’une partie de la tête, ensuite toucher (une partie du corps d’) une femme en considérant les ablutions toujours valables selon l’école Malikite. Ceci donne des ablutions invalides dans les deux écoles : Invalide chez les Shafé’ite car annulée par le toucher de la femme. Invalide chez les Malikites car non-essuyage total de la tête. Ce genre de mélange est strictement interdit.
Sheykh Amjad Rasheed dit à propos de cela :
« La preuve de l’illégalité de ce type de talfiq est claire. La personne qui rassemble deux avis est soit un mujtahid dont l’ijtihad l’a mené à cette position, ou alors il n’est pas un mujtahid, mais seulement un suiveur (muqqalid). Dans la terminologie des spécialistes des Usul (fondements de la Jurisprudence), un disciple est une personne qui n’est pas un mujtahid, c’est-à-dire qui n’est pas en capacité d’émettre des avis Juridiques Islamiques et ce même s’il a atteint un niveau élevé de connaissance et de Fiqh. Le mujtahid n’est pas obligé de suivre quelqu’un, quelle que soit la conclusion à laquelle il parvient grâce à son ijtihad, il doit la suivre. Quant au disciple, il doit suivre un Imam mujtahid. De ce fait, quand un suiveur fait un acte de culte ou conduit des affaires tout en combinant entre deux écoles ou plus, il a inventé pour lui-même une nouvelle école de pensée, alors qu’il ne fait même pas partie des gens aptes à l’ijtihad.
Ainsi, il n’agit pas selon une école à laquelle il est attaché, parce que si cette personne interrogeait chacun des Muftis dont il suit la position [en assemblant les actes] à propos de l’acte de culte entier [une fois rassemblé], ou de ce qu’il a entrepris, aucun Mufti ne serait pas en mesure de donner une fatwa accréditant la validité de son action, car qu’en agissant ainsi, la personne viole quelque chose qui représente une condition pour qu’il puisse valider l’acte. Et c’est jouer avec la religion, comme l’a écrit l’érudit ‘Abd al-Ghani al-Nabulsi [10] ».
D/ On peut également citer le type de talfiq consistant à assembler deux actes distincts, mais qui sont liés entre eux.
Prenons un exemple dans lequel une personne va suivre l’école Shafé’ite dans la petite ablution (wudhu) et l’école Malikite dans la prière (Salat). Cette personne fait le wudhu selon l’école Shafe’ite où le frottement [11] n’est pas une condition de validité de l’ablution. Et puis toujours en accord avec l’école Shafé’ite elle passe les mains mouillées sur une petite partie des cheveux (une mèche par exemple), car cela est suffisant dans ce madhabb. Ensuite, cette personne décide d’accomplir la salat selon l’école de l’Imam Malik (radhia Allâhou ‘anhou).
Le premier problème qui se pose, c’est que dans l’école Malikite, les règles du wudhu ne sont pas les mêmes. Ainsi chez les Malikites, le frottement fait partie intégrante des obligations (al-fara’id) de l’ablution mineure. En clair, chez les Malikites, si on ne frotte pas les parties concernées par le wudhu, ce dernier n’est pas valable. De même, toujours chez les Malikites, passer ses mains mouillées sur une petite mèche de cheveux n’est pas suffisant, la zone du crâne qui doit être « essuyée » ou « frottée » pour que l’ablution soit valable se situe du haut du front (racine des cheveux) jusqu’à la nuque.
Cette personne s’apprête maintenant à effectuer sa Salat selon l’école Malikite, avec une ablution qui est donc invalide selon cette même école.
De plus, cette personne va commencer sa Salat en récitant la Sourate al-Fatiha, sans la Basmala, car selon l’avis mashhour [12] de l’école Malikite, elle n’est pas à prononcer. Un deuxième problème se pose alors : Selon l’école Shafé’ite, si la personne ne prononce pas la Basmala, sa Salat est invalide.
En clair, en mixant à sa guise entre les écoles, cette personne aura fait une ablution non valide selon l’école Malikite et une prière non valide selon l’école Shafé’ite. Voilà à quoi mène ce genre de mélange et le pire c’est que bien souvent ceux qui s’y adonnent ne s’en rendent même compte !
Ce n’est pas pour rien si les savants de la Oumma dans leur majorité et parmi eux de très grands ‘Ulamas ont suivi une (seule) école de Jurisprudence. Et ils s’y sont tenu, malgré l’immense étendue de connaissance qu’ils possédaient. Serions-nous plus érudit et plus pieux que ces gens là pour aller là où ils se sont abstenus d’aller ?
Rien que chez les Shafe’ites, on peut citer comme savants ayant appartenus à cette école : L’Imam Al-Ghazaly, Ibn Khouzayma, Taqiy-ud-Dîn As-Subki, Ibn Hajar Al-‘Asqalani, Ibn Hajar Al-Haytami, l’Imam An-Nawawi, L’Imam Al-Boukhari, Al-Muzani, As-Suyuti, Al-Bayhaqi, An-Nasaa’i, et des milliers d’autres.
Comme nous l’avons vu plus haut, il est cependant parfois autorisé dans de rares cas de prendre l’avis d’une autre école que la sienne. Mais, il est important de souligner que les savants ont posé deux conditions pour celui qui désire prendre les avis d’un autre madhhab :
1) Ne pas rechercher la facilité (ar-rukhsa) dans chaque madhhab sur chaque question, c’est-à-dire ne pas naviguer entre les avis en cherchant la rukhsa de chaque école.
2) Si l’on prend un avis d’une autre école, il faut s’assurer que cet avis soit le plus fort dans cette école (al-mashhour) et surtout bien comprendre l’avis avec tous ses statuts légaux (ahkam). C’est-à-dire que si on fait le wudhu selon l’école hanafite, il faut bien connaître tout ce qui concerne les ahkam al-wudhu, par exemple, tout ce qui annule le wudhu selon les hanafites (cf. l’exemple donné plus haut).
Lorsque l’on a interrogé Sheykh Gibril Fouad Haddad sur la validité ou non de mixer entre les avis dans le but de rendre la religion plus facile, il a répondu :
« Même si nous partons du principe que les 4 écoles sont toutes aussi correctes les unes que les autres, sur toutes choses en tout temps, il reste que chacune d’entre elles arrive à ses conclusions par le biais d’une méthode précise et soigneusement réglée. Notre « piochage » et « mixage » rendrait cela incohérent et au final rien de ce que entreprendrions n’appartiendrait à une des 4 écoles, mais plutôt à une espèce de 5ème ou 6ème issue de notre propre conception. C’est ce qu’on retrouve dans l’attitude et les croyances de ceux qui rejettent les écoles (la-madhaabi) et chez les syncrétistes laxistes (perenialistes). »
L’Imam Ibn Hajar al-Haytami a dit : « Quiconque fait le suivi (taqlid) d’un Imam sur une question, doit se conformer aux exigences de son madhaab sur cette autre question et tout ce qui est lié à celle-ci. » [13]
Si certains savants comme l’Imam Yéménite Ibn Ziyad al-Shafi’i acceptent le mélange entre les écoles (wudhu d’une école et salat d’une autre par ex.) car c’est une facilité pour les gens du commun (awamm), il n’en demeure pas moins que comme le rappel le grand savant ‘Abd al-Rahman al-Mashhur, la position d’ibn Hajar (citée ci-dessus) est la plus précautionneuse. [14]
S’en tenir à une école permet de garder une cohérence de ne pas prendre le risque de mélanger les avis n’importe comment et de tomber dans le blâmable ou l’interdit.
C’est pour cette raison que le Mufti Mahmoud Hassan Sahib Gangohi a fermement stipulé l’interdiction de ce genre de pratiques en disant :
« Il est interdit de suivre un Imam (c.-à-d. une école) et de changer d’Imam selon ses désirs. Quand cela est fait sans permission de la Shari’ah, cela conduit la personne au mélange (talfiq), ce qui l’encourage à suivre ses désirs, l’éloigne de la vérité et l’égare ». [15]
Wa Allâhou a’alam.
Notes :
[1] Article réalisé par Sunnisme.com et supervisé par les Fuqaha d’Aslama, baraka Allâhou fikoum.
[2] Qouran, S16 / V43
[3] Qouran, S51 / V56
[4] Le Mujtahid est le savant reconnu par ses pairs, ayant atteint un niveau d’érudition très avancé, lui permettant de prononcer une interprétation personnelle (ijtihâd) sur un point de droit dans l’Islam. Peu de savants ont atteint ce niveau, on compte parmi les plus connus, des Imams comme Abou Hanifa, Malik ibn Anas, Ahmad ibn Hanbal ou ash-Shafé’i. On estime qu’aujourd’hui il n’existe pas de savants Mujtahid, c’est pourquoi les ‘Ulamas des écoles se réunissent en comité afin de réunir leurs compétences pour étudier les questions nouvelles.
[5] L’ijtihâd est le jugement résultant de la réflexion du mujtahid.
[6] Rapporté par At-Tirmidhi
[7] Rapporté par Abu Dawud, at-Tirmidhi, Ibn Majah
[8] Qour’an, S16 / V43
[9] Hadith rapporté par Abu Dawud, Ibn Majah, Ahmad, et Darimi. Ce hadith évoque le cas d’un homme à qui les Compagnons recommandèrent l’ablution à base d’eau malgré le fait qu’il soit blessé, alors qu’il existait d’autres solutions qu’ils ignoraient comme de faire le Tayamum.
[10] ‘Abd al-Ghani al-Nabulsi, dans son livre « Khulasa al-bayan fi Tahqiq hukm al-taqlid wa al-talfiq » (p. 56).
[11] Le frottement : consiste à frotter avec la main les parties concernées par le wudhu
[12] L’avis mashhour est l’avis le plus répandu dans l’école.
[13] L’Imam Ibn Hajar al-Haytami dans I’atu’l-talibin, 4.219
[14] ‘Abd al-Rahman al-Mashhur, dans Bughyat al-Mustarshidin (p.9).
[15] Par ailleurs, il faut souligner qu’il est tout à fait autorisé lors de la prière effectuée en groupe de suivre un imam priant selon une école différente de la nôtre. Ce sont là deux sujets compléments différents.